Susanna Lindberg, Artemy Magun, Marita Tatari

Thinking With—Jean-Luc Nancy: Avant-Propos des éditeur.rice.s

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En hommage à Jean-Luc Nancy, Diaphanes nous a invité à réunir des contributions de nombreux auteurs en un livre transdisciplinaire et plurilingue. Nous, les éditeur.rice.s, fûmes lié.e.s par l'université de Strasbourg où Jean-Luc Nancy a enseigné avec Philippe Lacoue-Labarthe depuis les années 1980 jusqu'à sa retraite en 2002. Strasbourg fut alors le centre d'une intense activité intellectuelle qui attirait des gens de par le monde autour de cette pensée (voir à ce sujet Penser à Strasbourg, Galilée, 2004). C'est là que nous nous sommes connu.e.s vers la fin du 20e siècle, après quoi le dialogue avec Nancy ne s'est jamais interrompu.

Nancy n'était pas un génie philosophique isolé, mais un penseur de la communauté qui aimait le travail en commun. Philippe Lacoue-Labarthe et lui formaient toute une école de pensée. L'attraction personnelle, sociale et intellectuelle de Nancy se reflétait dans les travaux de nombreux ami.e.s et élèves. À Strasbourg aujourd'hui encore, la voix de Jean-Luc annonce les arrêts de tram, (ré)orientant les gens dans l'espace physique et spirituel de l'Europe depuis son cœur géographique, qui fut tant de fois greffé tantôt en Allemagne, tantôt en France. Pour Nancy et Lacoue-Labarthe, Strasbourg faisait écho au romantisme de Tübingen et d'Iéna au tournant du 18e au 19e siècle, période qui les attirait théoriquement et mimétiquement. Sa voix retentit dans cette ville ancienne, l'enveloppe et plonge ses habitants dans une atmosphère prosaïque mais mystérieuse (on entend cette voix dans la contribution de Rodolphe Burger à ce recueil). Ce recueil tente de retracer les éclats multiples de la pensée de Nancy en rassemblant une constellation de voix diverses qui résonnent pourtant ensemble ici ; elles font écho à plusieurs générations marquées par différentes périodes de la pensée de Jean-Luc Nancy.

Avec ce livre, nous souhaitons poursuivre le dialogue ininterrompu que Jean-Luc Nancy a entretenu avec tant de personnes jusqu'aux derniers moments de sa vie. Au lieu de se restreindre à commenter son œuvre, nous les avons invitées à continuer de penser avec lui, selon l'ethos auquel son travail nous incite. Car il a repris la vieille question philosophique de la vérité sans mesure donnée, de la vérité au-delà de la comparaison, comme une pratique. Cette pratique se développe en une pensée responsable du monde et dans le monde, et cherche une langue qui corresponde à la lente « mutation » de notre civilisation.

Selon lui, l’aspiration à l'autonomie, qui avait d'abord animé la philosophie et tout l'Occident, était passée dans la machinerie techno-économique colonisatrice, rendant l'affirmation de notre finitude et de notre hétéronomie plus indispensable que jamais.


Dans ces conditions, s'en tenir à l'exigence du sens lui-même signifie saisir cette exigence encore et encore, et ouvrir le sens à l'extériorité inappropriable : en tant qu'actualité du dialogue, du renvoi, du rapport que nous sommes et qui est le sens.


Nous avons organisé les contributions de manière thématique. Le livre débute sur un aperçu des développements et changements d'orientation qui se sont produits dans la pensée de Nancy au fil des années. Ce premier chapitre pose la question du lieu d'où Nancy parle. Sous le titre de « Viemort » on trouve des textes intimes, touchés par sa mort et poursuivant un dialogue direct avec lui. Ensuite, les thèmes se suivent de manière à peu près chronologique, depuis des textes sur la communauté, qui se réfèrent à des textes plus anciens, vers la déconstruction du christianisme et l'explication avec l'histoire, ainsi qu'aux considérations contemporaines sur l'ontologie, la nature et l'environnement. Deux autres thèmes importants – mimesis, methexis et la question des arts – ferment le livre.

Les perspectives des auteur.rice.s sont parfois très variés, non seulement parce qu'ils accompagnent des textes de périodes différentes, mais aussi parce que chacun.e continue la pensée de Nancy à sa façon – et parfois aussi dans des directions différentes.


Jean-Luc Nancy a honoré l'étrangeté de ce rapport dans sa vie et son travail. Nous voulons continuer de penser en avant avec lui, maintenant que sa mort ouvre le rapport au sans-rapport : à son jaillissement infini.


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Susanna Lindberg

est professeure de philosophie continentale à l'Université de Leyde, Pays-Bas. Après des études à l'université d'Helsinki elle a passé son doctorat à l'université Marc Bloch de Strasbourg et son habilitation à diriger les recherches à L'université Paris Nanterre. Elle a travaillé comme chercheure, maître de conférences et professeure en Finlande et en France. Elle s'est spécialisée en idéalisme allemand, phénoménologie et philosophie française contemporaine. Ses recherches ont porté notamment sur la vie, l'animalité, l'élémental et la technique. Parmi ses livres on peut citer From Technological Humanity to Bio-Technical Existence (à paraître chez SUNY Press en 2023) ; Techniques en philosophie (Hermann, coll. Le bel aujourd'hui, Paris, 2020) ; Le monde défait. L'être au monde aujourd'hui (Hermann, coll. Le bel aujourd'hui, Paris, 2016) ; Heidegger contre Hegel : Les irréconciliables (L'Harmattan, Paris, 2010), Entre Heidegger et Hegel : L'éclosion et vie de l'être (L'Harmattan, Paris 2010). Elle a également édité, avec Hanna-Riikka Roine, The Ethos of Digital Environments: Technology, Literary Theory and Philosophy (Routledge en 2021) ; avec Marcia Sá Cavalcante Schuback, The End of the World (London, Rowman and Littlefield, 2017) ; avec Sergei Prozorov et Mika Ojakangas, Europe Beyond Universalism and Particularism (Palgrave Macmillan, New York, 2014) ; et avec Gisèle Berkman, Limite – illimité, questions au présent (Nouvelles Éditions Cécile Defaut, Paris, 2012).
Autres textes de Susanna Lindberg parus chez DIAPHANES

Artemy Magun

est professeur au Centre de philosophie pratique de l'Université Européenne de Saint-Pétersbourg. Il est titulaire d'un doctorat en sciences politiques de l'Université du Michigan (2003) et d'un doctorat en philosophie de l'Université de Strasbourg (2004). Magun est l'auteur de nombreux livres et articles en russe, anglais et français. Il est rédacteur en chef de Stasis, revue de pensée sociale et politique. Parmi ses ouvrages figurent des livres Révolution Négative (Harmattan, 2009), Politics of the One (2013, éd.), The Future of the State (2020, éd.) ; des articles tels que: « Illuminated by Darkness. Two Symbolist Masterpieces », « Hysterical Machiavellianism. Russian Foreign Policy and the International Non-relations »; « Marx’s Theory of Time », « De Negatione » et bien d'autres.
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Marita Tatari

Marita Tatari

est professeure de philosophie à l’université de Patras. Elle a passé son doctorat à l'université Marc Bloch de Strasbourg avec Jean-Luc Nancy et son habilitation à diriger les recherches à Ruhr Universität Bochum. Elle était Humboldt-Fellow à l’UC Berkeley et le ZfL Berlin. Elle a enseigné à la Humboldt université et l’université des Arts à Berlin, ainsi qu’aux universités de Bâle, Bochum, Leipzig, Dresden et Kreta. Elle a été professeur en remplacement d’esthétique contemporaine à l’université de Musique et des Arts Performatifs à Stuttgart. Parmis ses publications sont les livres Kunstwerk als Handlung – Transformationen von Ausstellung und Teilnahme, Fink 2017, Orte des Unermesslichen – Theater nach der Geschichtsteleologie (Hsg.), diaphanes 2014, Heidegger et Rilke – Interprétation et partage de la poésie, L’Harmattan 2013, Ästhetische Universalität – Vom fortbestehenden Wir, Metzler (à paraître).
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