« Avis. Pas ­d’arrière-salle ici pour les dames. »

Il existe un restaurant dans River Street à Hoboken, dans le New Jersey, en face des jetées et à quelques pâtés de maisons de la remise du Lackawanna Ferry, qui s’appelle My Blue Heaven Italian Restaurant. Un été, je revenais de Copenhague sur un cargo de Hog Island, la nourriture était mauvaise et, quand le cargo s’est finalement amarré à Hoboken, le premier endroit que j’ai vu où je pouvais manger était My Blue Heaven et j’y suis allé directement avec ma valise à la main. Je me suis assis et le serveur m’a tendu un menu, mais avant que j’aie commencé à lire, il m’a dit que le plat du jour était un risotto avec du calamari et qu’il me le recommandait. « C’est du riz, a-t-il dit, avec des calmars. » Je n’avais encore jamais alors mangé de risotto, et certainement pas de calmar, mais j’ai commandé le plat du jour, de façon impulsive, et j’ai trouvé ça extrêmement appétissant. Depuis ce jour, je suis assez souvent retourné à My Blue Heaven, si on pense que j’habite à Greenwich Village et que je dois prendre un ferry et traverser le fleuve pour y arriver, ce qui, bien sûr, est une partie du plaisir. J’ai fini par connaître les gens qui gèrent l’endroit et quelques-uns des habitués. (Je n’ai jamais posé de questions sur le nom, et je suppose que c’est parce que je sens qu’il y a là quelque chose de sentimental ou même de mignon, et j’ai une si bonne opinion de l’endroit et des personnes qui y travaillent que je préfère ne pas savoir.)

Un dimanche, il n’y a pas longtemps, je me suis réveillé au milieu de la matinée. C’était une très belle journée et j’ai décidé de prendre le ferry pour Hoboken et de déjeuner à My Blue Heaven.

Quand j’y suis arrivé, vers midi, Paulie, le barman, polissait paresseusement des verres. Un commissaire des docks grincheux du nom de Chris, qui traîne souvent là-bas, était assis à une table à l’avant, buvait une bière hollandaise et lisait un journal du dimanche de Newark. Udo, le cuisinier, et Vinnie, un serveur, étaient assis à une table à l’arrière, en face de la porte de la cuisine. Udo buvait du café et Vinnie nourrissait le chat de la cuisine avec des saucisses de foie du buffet gratuit. Je me suis assis avec Chris. Pendant que je déjeunais,...

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Joseph Mitchell

Joseph Mitchell

 (1908 – 1996) est né dans une ferme de tabac et de coton en Caroline du Nord (États-Unis).
Après de brèves études, il attire l’attention d’un éditeur grâce à un reportage et s’installe définitivement à New York en 1929. Il relate alors pour le Morning World et le Herald Tribune, puis pour le New Yorker, où il passera cinquante- huit ans, les rues de la ville et la vie des hommes qui les peuplent. Après la publication de ses articles sous forme de recueils, il s’est vu récompensé par l’Académie des Arts et des Lettres en 1965 et par le prix de littérature de Caroline du Nord en 1984. Sa passion pour ceux qu’il refuse d’appeler les petites gens, son intérêt pour les marginaux et les oubliés du rêve américain, son style élégant et soigné ainsi que son humour caustique en font l’un des inventeurs d’un nouveau journalisme de terrain et lui ont valu le surnom de « parangon des reporters ».

Autres textes de Joseph Mitchell parus chez DIAPHANES
Joseph Mitchell: Le Merveilleux saloon de McSorley

Joseph Mitchell

Le Merveilleux saloon de McSorley
Récits New-yorkais

Traduit par Bernard Hoepffner

broché, 544 pages

Epuisé

New York, années trente à cinquante. Voilà bien longtemps que les reportages, portraits et récits de Joseph Mitchell font partie des grands classiques de la littérature américaine. Il était donc grand temps de faire traduire ces récits fourmillant de personnages originaux et d’événements improbables.

Parus entre 1938 et 1955 dans le journal The New Yorker, les textes réunis dans le présent recueil, livre de chevet de Paul Auster, de Jonathan Lethem ou encore de Woody Allen, dessinent une sorte de tableau animé d’un milieu populaire new-yorkais en proie à une lente disparition. Avec ces portraits fouillés, le mythique père fondateur du « New Journalism » démontre de manière inégalée que le reportage de terrain peut être une discipline littéraire à part entière qui se lit avec gourmandise.