Ce que révèle mon histoire, l’histoire d’un être humain et vivant, n’est pas le PASSÉ RÉVOLU (ce qui fut, parce que ce n’est plus), ce n’est pas non plus le passé composé de ce qui a été et perdure dans ce que je suis mais l’AUTRE de ce que j’ai été pour ce que je suis en passe de devenir.
– Si je vous comprends bien, c’est du deuil de « ce que je suis en train de devenir » qu’il s’agit. Je vois : j’aurai été criminel, sans l’avoir cherché. Après l’armistice, à bord de l’un des premiers trains en circulation, j’entre dans Paris occupé, habillé en civil, mes papiers indiquent que j’appartiens à la garde rapprochée des dirigeants de l’Office central de la sécurité du Reich, envoyé en émissaire pour mettre en place une entente avec la France, comme celle qu’en son temps le baron de Stein avait échoué à établir. Je suis loin d’imaginer qu’un an plus tard, je commanderai des exécutions de masse dans le sud de la Russie, dont je serai mal payé en retour encore cinq ans plus tard.
– Et vous ne sauriez en aucun cas l’exprimer au futur antérieur, car vous êtes déjà mort, exécuté à Cracovie. Votre futur est coupé net, comme une tête par la guillotine.
– Minute, je n’ai rien fait d’autre que me mettre dans la peau d’un personnage hypothétique devenu criminel. En réalité, je suis assis en face de vous, avec ma boisson.
– Il existe pourtant bien, ce J’AURAI ÉTÉ, telle l’une des plus puissantes projections de la volonté. À ne pas confondre avec ce que je fais ou ferai réellement.
– Et quelle est l’utilité de ce mode grammatical ? En allemand, il nous cause des difficultés. À l’écoute, cela semble bien compliqué, alors que c’est si facile dans la vie ?
– C’est le point où je me décide.
– Pour autant qu’il soit permis aux hommes d’en disposer. C’est ce qu’on dit : Tu ne saurais deviner, toi l’ange si plein de grâce.
– C’est la faculté de prescience en tant que telle et la décision que je prends en anticipant qui je serai à l’avenir. « Ne choisis comme avenir que celui que tu pourras endurer ! »
– La grammaire est une arme dangereuse, un outil capable de tuer.
– L’unique arme dont la conscience dispose.